mardi 24 février 2004

‘’Programmation très serrée’’ du Figaro.

Lors du précédent article intitulé «Le Droit international à l'épreuve d'un intellectuel » je me suis permis de m’en prendre au pamphlet d’un ‘’éminent professeur’’ genevois, nommé Marcelo G. Kohen, qui malmenait le Droit international à la seule fin d’arriver en conclusion à une condamnation de l’état d’Israël.

Le professeur David Ruzié a -de son côté- contacté le quotidien Le Figaro pour la publication d’une réponse, de confrère à confrère, remettant en quelque sorte les pendules à l’heure, la loi sur les rails et le respect des lecteurs de ce journal à l’honneur.

Malheureusement, une « programmation TRES SERREE » (sic) du journal ne permet pas cette publication.

L’information étant ce qu’elle est en France, gageons que ne pas être actuellement un conseil de l’un des pays plaidant à la CIJ contre Israël, à l’instar de Marcelo G. Kohen conseil de la Malaisie (célèbre depuis le discours antisémite de son ex-premier ministre), ne l’aide pas.

Nous vous livrons donc ci-dessous la réponse du professeur Ruzié, tout en permettant à nos confrères du Figaro de s’en saisir si des ‘’remords’’ venaient à paraître.

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La « barrière de sécurité » et le droit international
Par le professeur David Ruzié*

Je regrette de ne pas partager l’analyse de mon collègue suisse, le Professeur Marcelo G. Kohen, parue dans Le Figaro du 23 février dernier, tout en appréciant son souci d’utiliser une terminologie appropriée.

On ne peut, effet, parler de « mur », s’agissant d’une installation qui, lorsqu’elle sera terminée ne comportera que quelques kilomètres en « dur » sur les quelques centaines de kilomètres environ, que comportera cet instrument de prévention contre les actes de terrorisme.En revanche, je m’étonne du caractère tranché de ses affirmations, lorsqu’il considère que la position juridique du gouvernement israélien est « indéfendable », ce qui expliquerait son absence du débat à La Haye.

Pour ma part, tant sur le plan de la compétence que sur le fond, je considère, au contraire, que, juridiquement, la thèse du gouvernement israélien est parfaitement défendable. Sur le premier point, je suis surpris que mon collègue considère que la Cour devra examiner si l’Assemblée générale est compétente pour traiter de la question. Ce point ne me paraît pas du tout contestable, ni même contesté. L’Assemblée générale est un organe politique et elle a parfaitement le droit de s’interroger sur la meilleure façon de rétablir la paix au Proche-Orient.

Mais, on aurait aimé que depuis1948, l’Organisation mondiale consacre moins de temps à palabrer sur la « question de Palestine » et s’efforce plutôt de convaincre les Etats arabes et la population arabe de la partie de l’ancien mandat britannique du bien-fondé du plan de partage qu’elle avait recommandé en novembre 1947. Or ceux-ci l’ont non seulement rejeté en paroles, mais également par les armes.

Ensuite, entre 1949 et 1967, alors qu’Israël était bien à l’intérieur de la « ligne verte » (ligne de démarcation du cessez-le-feu décidé à Rhodes, dans le cadre des accords d’armistice), l’Organisation mondiale n’a pas davantage réussi à garantir à Israël son droit à se prévaloir des règles du droit international garantissant son intégrité puisque Israël était le seul exemple d’Etat dépourvu de « frontières ». Les accords d’armistice avaient bien précisé que la « ligne de démarcation ne doit nullement être considérée comme une frontière politique ou territoriale ».

De même, l’ONU n’a rien fait, ni même tenté, pour permettre à Israël de bénéficier du droit d’accès, également reconnu par le droit, aux voies de communication internationales (passage interdit par le canal de Suez en violation de la convention de Constantinople et même, en 1967, tentative d’interdire l’accès au détroit de Tiran ou golfe d’Akaba, pour accéder au port israélien d’Eilat).

De fait, la question posée à la Cour porte sur « les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé ». Et, en dépit de la formule utilisée par l’Assemblée générale, il s’agit bien d’une question avant tout politique, car comme nous venons de le voir, si Israël a, enfin, depuis 1979 avec l’Egypte et depuis 1994 avec la Jordanie, une frontière, il n’en est pas de même au regard de la Cisjordanie.

Cette ancienne possession ottomane, avant 1919, placée sous mandat britannique de 1920 à 1948 fut, ensuite, de façon tout à fait arbitraire, annexée par la Transjordanie pour devenir partie de la Jordanie. Ce n’est qu’en 1988 que le roi Hussein décida de se désintéresser de ce territoire, dont le sort reste, donc, à déterminer, avec des « frontières sûres et reconnues », selon la formule de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité, la séparant de son voisin Israël. Il s’agit là d’une question éminemment politique.

Certes, dans le passé, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer dans des affaires, dans lesquelles l’arrière plan était politique, mais des questions juridiques pouvaient être isolées (ex. : affaire de la prise d’otages américains à Téhéran, en 1979, activités militaires au Nicaragua, dans les années 1980, voire plus récemment dans l’affaire, toujours pendante, entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda).

Mais, il s’agissait de litiges entre Etats. Or, cette fois, c’est à la demande de l’O.N.U., qui n’est pas, directement, concernée que la Cour devra se prononcer, alors que c’est Israël et une entité non étatique – événement dans le prétoire de la Cour internationale – qui sont en cause. Et précisément tout le problème posé par l’édification de la « barrière de sécurité » est lié à l’absence de frontières internationales d’Israël.

Sur le fond, nous pourrons être beaucoup plus bref. Le droit d’Israël d’édifier une « barrière de sécurité » pour prévenir les incursions terroriste repose, comme le reconnaît, d’ailleurs, notre collègue – mais pas les organisations terroristes palestiniennes – sur le droit de tout Etat à assurer sa sécurité. Donc, en l’espèce, le droit de légitime défense d’Israël est incontestable.

Reste alors le tracé de cette « barrière ». Il n’est en rien définitif, ni dans le court terme, et encore moins dans le long terme. A aucun moment le gouvernement israélien n’a prétendu qu’elle préfigurerait la frontière avec le futur Etat palestinien, pour lequel on aimerait que les Etats arabes manifestent plus d’enthousiasme…

Mais veulent-ils vraiment une « vitrine » démocratique à leurs propres frontières ?

Voilà de quoi alimenter une nouvelle négociation à condition que la partie palestinienne le veuille. Car, n’en déplaise à d’aucuns, Camp David I, en 1978, a bien permis de jeter les bases de la première étape d’un règlement global du conflit du Moyen Orient que constitua le traité de paix israélo-égyptien. Anouar el Sadate avait davantage de sens politique que le président de l’Autorité palestinienne, qui a eu le tort de refuser, durant l’été 2000, à Camp David II, les propositions présentées par le gouvernement d’Ehoud Barak.

Mais la nouvelle intifada ne se préparait-elle pas déjà, depuis le retrait d’Israël du sud-Liban, retrait considéré comme une victoire par les opposants à la paix au Proche-Orient ?

Pour que la Cour puisse exercer sa fonction judiciaire de « dire le droit », encore faut-il que le droit existe. C’est aux diplomates et aux politiques de définir des « frontières sûres et reconnues ». D’ici là, on ne peut, à proprement parler, évoquer des territoires « occupés ».

Et pour l’instant, l’urgence pour les israéliens est de se protéger contre les massacres délibérés de civils.

*Professeur émérite de droit internationalAgrégé des Facultés de droit

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